L’Hirudothérapie : Un voyage à travers l'histoire de la thérapie par les sangsues
L’hirudothérapie, ou la thérapie par les sangsues, est une pratique ancienne qui a survécu à l’épreuve du temps, demeurant toujours d’actualité. Cet article propose de faire le voyage de cette pratique thérapeutique depuis ses origines jusqu’à son statut contemporain.
Qu'est-ce que l'hirudothérapie ?
L’hirudothérapie est définie comme l’utilisation de sangsues pour le traitement thérapeutique de diverses conditions médicales. Ces petits invertébrés, dans leur quête de se nourrir du sang des mammifères, dont l’humain fait partie, injectent dans notre organisme une panoplie de substances bénéfiques. Leur action se résume principalement en trois volets : l’élimination du sang stagnant et des caillots, l’augmentation du flux sanguin local et l’exploitation des propriétés bénéfiques de leur salive.
Cette thérapie est couramment utilisée pour traiter des problèmes liés à une surcharge sanguine ou un défaut de circulation sanguine, tels que les troubles de la vascularisation, la congestion veineuse, les hématomes, les varices, les hémorroïdes, l’hypertension.
Mais grâce à leurs nombreuses propriétés, les sangsues peuvent également être d’un grand secours pour de nombreuses maladies génératrices de douleurs aigues ou chroniques, comme l’endométriose, l’arthrose, la polyarthrite rhumatoïde, les lombalgies, les hernies, les névralgies et tendinites diverses, les entorses, etc.
Des racines dans l'antiquité
L’utilisation des sangsues à des fins curatives est une pratique ancestrale. Les représentations de ces créatures dans l’Inde ancienne remontent à plus de 6000 ans, preuve de leur rôle médicinal prééminent. Elles sont notamment associées à Dhanvantari, la divinité indienne de la médecine. Vénéré depuis des millénaires, il est souvent illustré avec une sangsue dans l’une de ses mains, évoquant l’importance accordée aux remèdes naturels.
L’Égypte ancienne a également témoigné de cette pratique médicale. Une peinture murale mise au jour dans un tombeau à Thèbes, datant de la XVIIIe dynastie (environ 4200 ans), dépeint un médecin appliquant une sangsue sur le front d’un patient, illustrant ainsi l’utilisation de l’hirudothérapie.
Dans la Grèce antique, la médecine reposait sur la théorie des humeurs, un concept clé de la médecine antique européenne. Propagée par le Corpus hippocratique, cette théorie stipulait que le corps et l’esprit humains étaient gouvernés par quatre humeurs : le sang, le phlegme, la bile jaune et la bile noire. Les déséquilibres entre ces humeurs étaient perçus comme les causes de maladies, et pour les rééquilibrer, on faisait notamment appel à la saignée, effectuée à l’aide de scarification ou de sangsues.
La présence des sangsues est attestée dans le poème médical Alexipharmaque du médecin Nicandre de Colophon (250-170 av. J.-C.) et elles ont été employées par Galien (129-201).
*Opuscules de divers auteurs médecins, rédigés ensemble pour le profit et utilité des Chirurgiens. Revus et corrigés de nouveau, avec leur Indice. Petits traités propres à la Médecine. Auteur Galien. Des Sangsues, p. 349-356
De l'Antiquité au XIXè siècle
De l’époque antique au Moyen Âge, l’application thérapeutique des sangsues a traversé les âges. Avicenne, dans son célèbre « Qanon de la médecine », a salué leur utilité supérieure aux ventouses pour « retirer le sang des parties du corps les plus profondes. ». Il a également proposé l’utilisation des sangsues pour le traitement des maladies de peau.
Cependant, au Moyen Âge, l’hirudothérapie était encore peu répandue malgré l’approbation d’Ambroise Paré, particulièrement pour traiter l’aménorrhée. Elle demeure essentiellement dans le domaine de la médecine populaire, fréquemment adoptée par les barbiers au même titre que les ventouses.
Par contraste, le XIXème siècle devient l’âge d’or de l’hirudothérapie, largement promue par Victor Broussais (1778-1838) dans sa Doctrine Physiologique. Cette popularité a entraîné une consommation massive de sangsues en France, obligeant à les importer face à la diminution des populations locales. Malgré une augmentation constante des coûts, l’enthousiasme pour l’hirudothérapie s’étend en Allemagne, en Angleterre et même en Amérique.
Toutefois, avec l’avènement de la microbiologie et de la stérilisation au milieu du XIXème siècle, l’hirudothérapie connait un déclin marqué, devenant un vestige de la médecine populaire au XXème siècle. Malgré leur raréfaction due à l’assèchement des marais et à l’usage de pesticides et autres polluants qui contaminent les eaux pures dans lesquelles elles aiment évoluer, les sangsues sont progressivement remises en valeur dans certaines régions, en particulier en Allemagne, en Suisse, et aux États-Unis.
Pendant ce temps, la médecine européenne évolue, laissant derrière la théorie des humeurs pour se tourner vers l’anatomie aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis vers l’anatomoclinique – qui étudie et relie les symptômes observés et les modifications fonctionnelles à des changements spécifiques dans les organes – aux XIXe et XXe siècles. Ainsi, la médecine européenne est passée de la théorie des structures à une science clinique concrète.
Du XXe siècle à nos jours
En 1939, Lindemann, découvre la présence de dérivés d’histamine dans leur salive. Bien que l’hirudine ait été découverte par Hayward en 1884, ce n’est qu’en 1955 que l’on parvient à isoler cette substance.
En 1980 on assiste à un regain d’intérêt pour l’hirudothérapie venu des États-Unis, avec une littérature médicale anglophone abondante sur le sujet
La fin du XXème siècle témoigne d’un regain d’intérêt pour les sangsues, notamment dans le domaine de la naturopathie et de la chirurgie réparatrice. John Friedrich Dieffenbach, pionnier de la chirurgie plastique, avait déjà utilisé les sangsues avec succès au XIXème siècle. Aux États-Unis, leur utilisation en chirurgie réparatrice débute dans les années 80, tandis qu’en France, elles sont employées pour la première fois en 1972 par le Professeur Baudet à Bordeaux pour une réimplantation digitale.
Diverses études médicales récentes mettent en lumière l’efficacité de l’hirudothérapie dans le traitement de certaines pathologies, comme la gonarthrose, la rhizarthrose, les épicondylites ou les hématomes. Plusieurs hôpitaux mondiaux ont également contribué à des études cliniques sur la gonarthrose.
Malgré les résultats probants, l’hirudothérapie reste peu pratiquée en France comparé à d’autres pays. En Allemagne et en Suisse, l’usage des sangsues est bien plus courant et, en Suisse, l’hirudothérapie est même intégrée au programme de formation des Naturopathes.
En Europe de l’Est, l’utilisation des sangsues n’a jamais cessé, aussi bien dans le domaine privé que médical. Les Russes ont notamment développé une technologie de production de sangsues en laboratoire à grande échelle. De nombreux travaux sur l’hirudothérapie sont d’ailleurs écrits en Russe.
Conclusion
L’hirudothérapie a traversé les âges, de l’Inde à l’Egypte, de la Grèce à la France médiévale, jusqu’à nos jours. Elle a survécu et prospéré grâce à l’efficacité indéniable de ces petites créatures, les sangsues, dans le traitement de diverses maladies. Aujourd’hui, l’hirudothérapie conserve toujours une place importante, preuve de la pertinence de cette pratique ancestrale.